Humble pour recevoir l’amour de quelqu’un d’autre
Cette année, l’épidémie de Covid-19 nous oblige à vivre autrement ces jours saints et l’évolution des conditions sanitaires nous contraint le plus souvent de les vivre sous une forme réduite à une liturgie domestique. Le confinement c’est un apprentissage, il faut habiter le temps, le vivre dans l’instant et ne pas le laisser couler de manière difforme. Et, Dieu se donne dans l’instant présent, même en temps de crise ! L’absence de rassemblement sera d’autant plus vive que la Semaine sainte est l’occasion de suivre le Christ en communauté ecclésiale. Cette situation particulière ne nous dispense pas de
regarder Jésus aller jusqu’au bout.
Observons ce qui se passe le soir du jeudi… Ce soir, la table est prête… Repas de retrouvailles…
Table dressée pour la fête… Repas de l’amitié… Jésus partage avec ses amis son dernier repas.
Parvenu au seuil de sa mort, Jésus le leur dit. Mais que comprennent-ils de ces paroles étranges et symboliques ?
1. Quelques mots, un peu de pain, un peu de vin.
En un instant, tout est dit, tout est donné, tout est joué. Jésus s’est livré. Jusqu’au bout de l’amour.
Ceux qui lui étaient fidèles depuis si longtemps commencent à s’étonner de ses paroles et de ses gestes. Mais parce qu’il les aime jusqu’au bout, Jésus se livre. Il se donne pour l’humanité entière. Le pain rompu et le vin versé crient à la face du monde un Amour dont Dieu seul est capable. Une vie est donnée, livrée pour le salut du genre humain. Quelques mots, quelques gestes donnent déjà vie et espérance à ceux qui sont là autour de la table. « Faites cela en mémoire de moi » … des mots, des gestes qui donnent vie à un à deux, à une communauté. Même si la croix ne peut plus être évitée,
l’avenir n’est pas à la mort. Il est déjà à la naissance.
2. Dieu aime. Et son amour est tel qu’il va jusqu’à s’abaisser.
Il se fait serviteur des Serviteurs. Pierre ne peut imaginer que Dieu aille aussi loin. Jésus se lève pour laver les pieds de ses amis. C’est un Service gratuit. Jésus n’a pas demandé la ‘permission’ d’être humble et de servir.
La question de Pierre, « Maître, vas-tu me laver les pieds ? » ne vient pas comme une demande, plutôt comme la résistance qui reconnaît ce que Jésus s’apprête à faire. Est-ce que l’humilité et l’amour ont besoin de notre ‘permission’ ?
La véritable question de fond est la suivante : qui est assez humble pour recevoir l’amour de quelqu’un d’autre ? Suis-je assez humble pour recevoir l’amour de Jésus pour moi ? L’humilité et la charité de Jésus purifient. En fait, l’attitude de Pierre précisément, « Tu ne me laveras pas les pieds, non jamais, » n’est pas pure.
Je crois que seuls les purs en esprit, les cœurs purs, celles et ceux qui ont un cœur d’enfant entreront dans le Royaume des cieux : « Si je ne te lave pas, tu n’auras pas de part avec moi. » Que le Christ me lave, donc, par son exemple plein de grâce de tout orgueil, de toute impureté d’intention.
Je pense spontanément à toutes celles et tous ceux qui rendent possible l’impossible. Ils sont les « héros en blouse blanche » qui rappellent notre habit baptême dans la guerre contre le Coronavirus.
Chaque jour, nous voyons l’action, nous recueillons la parole des soignants par exemple. Qu’ils/ellessoient infirmier-ères, médecins, aide-soignant(e)s, internes, assistant(e) de soins hospitaliers, aides à domiciles, agents d’entretiens, caissiers ou caissières, chauffeurs de transports en commun, la liste est longue… Aucun n’aurait pensé un jour traverser une telle crise sanitaire. Jour après jour, ils sont dans l’action pour sauver des vies, pour rendre la vie possible ou supportable, rendre possible, l’impossible. Une infirmière me confiait : « Je pense qu’on n’a pas encore vu tout ce que le virus
pouvait faire. ». Un interne ajoutait : « (…) Mais à part que j’ai les mains toutes abîmées, à force de les laver toute la journée, ça va ! (…) ». Heureusement que cela finira avec la grâce de Dieu. « Nos habitudes ont forcément changé un petit peu. Déjà, on porte tous des masques tout le temps. En salle de pause, on ne doit pas être plus de quatre… Tout ça, c’est un peu bizarre mais je pars du principe que c’est temporaire et que tout finira par rentrer dans l’ordre (…) », me confiait un médecin.
3. Avec le Jeudi saint, je ne peux passer sous silence cette autre parole-clé de Jésus. « Faites cela en mémoire de moi. »
Logique de l’amour qui se livre. Invitation à faire de chacune de nos vies une offrande. Alors nous comprendrons peu à peu le don de Dieu à son peuple. Si je suis un disciple, je dois faire attention à apprendre la leçon. Jésus demande : « Vous rendez-vous compte de ce que j’ai fait pour vous ? » On comprendrait mieux si Jésus avait demandé à son serviteur de lui laver les pieds, et non le contraire. Jésus est Seigneur et maître ; il est le Bon Maître. Je suis son disciple.
Néanmoins il a démontré son autorité non pas en exigeant l’obéissance par la force, mais plutôt en révélant le pouvoir de la vertu : l’humilité et la charité – et leur capacité d’enseigner et de persuader.
« Si donc moi, le Seigneur et le Maître, je vous ai lavé les pieds, vous aussi vous devez vous laver les pieds les uns aux autres. »
Il m’a donné un modèle à suivre, afin que j’aille faire de même. Le don de notre vie ne peut se comprendre que dans le don total que le Christ fait de lui-même. C’est le mystère de ce don que nous apprenons chaque jour en étant prêtre au milieu et avec le peuple. C’est vivre aussi pleinement dans notre société en pleine mutation et en quête de sens. La liberté intérieure peut être anéantie par la vacuité d’Internet et les réseaux sociaux tout comme par l’absence de discipline.
C’est le mystère de ce don que toute l’EGLISE est invitée à contempler dans la nuit de ce jour. Car tu nous as choisis pour servir en ta présence ! L’autre besoin que ce confinement met en exergue, c’est le besoin essentiel pour les hommes d’être en communion. Le confinement touche à notre désir de sociabilité, un désir qu’il faut également cultiver. C’est dans cet esprit que nous célébrons, je crois, cette semaine sainte à domicile, dans la paix du cœur et la tranquillité de l’esprit.
Amen !
09/04/2020
P. Aubin