Une semaine sainte particulière dans un monde particulier
J’aime bien le jour des Rameaux. Les églises se remplissent plus que d’habitude. De nombreuses personnes qui pratiquent peu se sentent aujourd’hui invitées et accueillies. Tous ces branchages, que nous agitons, donnent un air de fête. Nombreux parmi nous mettrons ces branchages en évidence dans nos maisons, ou en porterons à des amis, des malades, ou encore irons en déposer sur les tombes. Ces rameaux nous relient à tant d’autres personnes !
Ceux qui jugent la foi de l’extérieur pensent, voir là, une superstition. Mais ils n’ont rien compris du rapport entre le signifiant et le signifié ! Les chrétiens, eux, savent que ces Rameaux n’ont de sens que parce que nos cœurs et nos regards sont déjà tournés vers la fête de Pâques, dans une semaine, et la joie de la résurrection de Jésus-le-Christ. C’est comme si nous marchions aujourd’hui encore de nuit, mais nous nous soutenons les uns les autres pour parvenir à la lumière du matin promis, le matin de Pâques.
Pourtant, je dois reconnaître que la marche ne sera pas si facile pendant la semaine qui vient. Déjà, ce Carême 2020 rime avec confinement… Comme tout le reste de la société, l’Eglise Catholique a dû s’adapter à l’épidémie du coronavirus et aux mesures de confinement… La messe des Rameaux et les cérémonies de la semaine sainte rimeront avec cyber-eucharisties, YouTube… Faut-il déjà penser aux confessions individuelles
ou aux célébrations pénitentielles avec l’application zoom ? Peut-être, faut-il penser à une pastorale des Tweets ? Je m’interroge !
Avec la messe des Rameaux, une autre chose est bien dure aujourd’hui, c’est la lecture de la passion de Jésus. Nous entendons encore ce témoin de la mort de Jésus, au pied de la croix : « Si tu es le Fils de Dieu, descends de ta croix ! » Pourquoi la parole d’amour est-elle clouée sur le bois de la croix ? Pourquoi faut-il que Jésus souffre ? Pourquoi faut-il que Dieu, par Jésus son Fils, passe par le rejet le plus total et par la mort ?
Je crains de ne pas avoir de réponse. Dieu, ici, nous entraîne au-delà de nos raisonnements ! Essayons cependant de trouver une voie ! Nous sommes là, nous, confrontés au Covid-19. « Ça arrive « bien » pour nous car le Carême est une phase de retrait pour le chrétien : il doit concéder des efforts personnels de bienveillance, de partage, de solidarité… et le confinement actuel nous contraint à ces efforts. C’est le moment de consacrer du temps à ses proches, à la lecture… et c’est moins difficile en cette période particulière » affirmait une chrétienne.
Depuis des semaines, la nuit semble tomber. Partout dans le monde sans exception, d’épaisses ténèbres couvrent nos places, nos routes et nos villes ; elles se sont emparées de nos vies en remplissant tout d’un silence assourdissant et d’un vide désolant, qui paralyse tout sur son passage : cela se sent dans l’air, cela se ressent dans les gestes, dans les attitudes, les regards le disent. Nous nous retrouvons apeurés et perdus… l’ombre de
la mort est omniprésente. «Comme les disciples de l’Evangile, nous avons été pris au dépourvu par une tempête inattendue et furieuse. Nous nous rendons compte que nous nous trouvons dans la même barque, tous fragiles et désorientés, mais en même temps tous importants et nécessaires, tous appelés à ramer ensemble, tous ayant besoin de nous réconforter mutuellement» (le pape François).
Tout comme les disciples, nous pouvons nous sentir «perdus» et surpris par l’attitude de Jésus dans cette scène de l’Évangile : «Malgré tout le bruit, il dort serein, confiant dans le Père – c’est la seule fois où, dans l’Evangile, nous voyons Jésus dormir –. Puis, quand il est réveillé, après avoir calmé le vent et les eaux, il s’adresse aux disciples sur un ton de reproche : ‘’Pourquoi êtes-vous si craintifs ? N’avez-vous pas encore la foi ? » (Mc.4, 40).
Je crois que de même que la passion et la mort de Jésus nous rappellent qu’il a donné sa vie afin de nous la partager et ainsi nous sauver ; de même cette épisode humaine du Covid-19 nous rappelle notre paupérisation anthropologique, nos propres fragilités et nous conduira inexorablement vers la fin progressive du confinement et le retour à la vie normale, qui ne sera plus comme avant.
De même que « ce ne sont pas les clous qui retiennent le Christ sur la croix », comme l’écrivait Catherine de Sienne, mais l’amour ; de même ce sont « les gestes qui sauvent » qui nous aident à soutenir la mission de celles et ceux qui se battent pour sauver des vies au détriment de la leur.
Je crois qu’avec sa résurrection, Jésus-Christ montre que la vie l’emporte sur la mort. La foi chrétienne consiste à ne jamais nier la mort. Elle consiste à ne pas nier le péché mais à l’affronter avec la force que Dieu nous donne. Avec Jésus passer la mort, tel est notre programme ! Dans notre prière, nous demandons à Dieu moins d’effacer que de porter avec nous ! Amen !
05/04/2020
Père Aubin M.